La sécurité des personnes et des biens - Manuel Joseph

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Arrêter de noter sur les « post-it » que je mets un peu partout pour m’y retrouver mais qui m’égarent et comme ils sont tous jaunes il me faut plusieurs cigarettes pour les retrouver. 


Le texte de Manuel Joseph épouse jusque dans sa langue mal formée le climat psychique d’un homme sorti d’un Centre de réadaptation et bourré de médicaments. Le parti pris ultra réaliste produit de la laideur butant sur une grammaire mal en point et des détails maussades du quotidien (marques, objets vulgaires, lieux de grande consommation...). Ce parti pris est similaire dans les photographies qui composent la moitié du livre : volontairement défectueuses (bout de bras entrant dans le cadre...) et réalistes sans anecdote ou élément saillant. Le texte parle pour une humanité albatros, les ailes brisées et mazoutées, l’œil hébété.

Le texte se conclut par une brutale mise à mort qui confirme la dimension psychotique du principal causeur.
Si le projet social de containment par le règlement et la médication des fous est au cœur du livre, cette fin confirme que la sécurité n’est de la sorte nullement assurée. La société transformée en couloirs sanitaires commodes pour les brancards, conçue pour déplacer sans peine les naufragés de toute sorte, ne se révèle ni fonctionnelle ni efficace, elle est juste grise et morne comme un couloir des Urgences.
Le livre travaille en continu l’énonciation du médical dans un discours de la guerre : discours ou filent les métaphores de l’opération chirurgicale et de la tumeur à extraire.
La laideur est nouée à un vœu hygiéniste.

Dans le traitement des fous comme dans la métaphore courant au sein du discours de la guerre, une même considération se fait jour : le médical ne parle pas du soin des corps malades, mais d’établir l’ordre dans la société par la neutralisation des agents infectieux (militants, fous... pauvres, ajoutent les photographies). Il ne s’agit pas de guérir ou d’aider, mais de contrer les infections qui menacent le grand carrelé sociétal. Il est notable que le psychotique ainsi soigné soit lui-même un adepte du nettoyage, et que sujet d’une neutralisation par les médicaments, il conduise une épuration clinique dans son appartement, utilisant des cotons-tiges pour l’intérieur des prises ou deux paires de chaussettes pour supprimer les cendres de cigarette. Il concentre son attention pour maintenir fermée la porte de la deuxième chambre de son appartement (l’intérieur est « dérangé »). La fixation mentale sur des états du réel jugés stables est peut-être commune aux fous et aux services de sécurité ou aux psys. La crainte d’une éruption, le surgissement de bouffées de symptômes, contre lesquels est préférée une laideur dévitalisée.

L’anesthésie médicamenteuse apparaît comme la forme douce de l’eugénisme, tournée vers une mort sans bruit des inadaptés.

Charles Robinson

romancier

travaille dans quatre directions qui souvent s’interpénètrent : l’écriture, la création sonore, la littérature live, la création numérique.