Cinq suites pour violence sexuelle - Emmanuel Adely

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Emmanuel Adely réussit un livre singulier et magnifique en tapant dans cinq discours de Nicolas Sarkozy pour en faire tomber des morceaux de langue. Emmanuel Adely fabrique là plusieurs choses. D’abord, un magnifique état de la langue : à la fois fruste et mémoriel, un état pauvre, rapiécé, et néanmoins tendu d’histoire et de foules applaudissant, un état commun, qui relève de notre collectif, et pourtant solitaire, tant Nicolas Sarkozy y est enfermé dans sa propre geste textuelle. Un état singulier, aussi, car tenir simultanément la déstructuration, le sens, la beauté, la drôlerie, est un exercice malaisé.

Ce n’est pas vrai que l’on entend mieux avec ce livre le sous-texte du discours sarkozyste. C’est tout à fait autre chose qui se joue là. Une opération de kidnapping poétique, un rapt du flot de la langue de drague, déplacée dans le champ poétique. Nicolas Sarkozy est proprement volé de son texte, il en est dépouillé. Un sur-texte ne s’encombre pas des analyses et commentaires propres au sous-texte. Le texte produit ici contient le discours sarkozyste et est plus grand que lui. Là où la drague politique vole un peuple de son destin par une entourloupe faite de communication, de promesses, de flatteries veules et de peurs, un écrivain robin-des-bois vole au riche et redistribue. Les redistributions sont toujours festives, et ce livre est une fête. Pas une revanche. Pas une justice. Pas un garage sémantique travaillant sous le capot rhétorique. Une fête, menée quasi sans moyens, à portée de tous. Elle fait feu dans la langue.

L’homme politique jouit du formidable pouvoir et de l’extraordinaire privilège d’imposer dans notre environnement son discours, de forger notre paysage d’idées, de marquer de ses thèmes nos espaces de pensée. Et, pour ou contre, nous croyons ne rien pouvoir opposer à ce pouvoir et à ce privilège.

Avec ces Cinq suites pour violence sexuelle, cet inappropriable de l’histoire politique récente est devenu bien commun.
D’une telle lecture, on ressort purifié, lavé.

Charles Robinson

romancier

travaille dans quatre directions qui souvent s’interpénètrent : l’écriture, la création sonore, la littérature live, la création numérique.